Chronique linguistique du Grand Direct de Rentrée
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Sommes-nous contraints d’employer une langue « fasciste » qui soit soumise aux normes d’une société hétéronormée ? À l’aide de Saussure et de Barthes, nous allons approcher un texte méconnu de Marguerite Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs, afin d’en saisir le langage neuf, inédit, in-ouï, un discours queer en profondeur. Pour ce faire, Marguerite Duras assimile la figure de « Dieu » à la société hétéronormée, propose une réfection du lexique pour réinvestir les relations sociales et met en avant la puissance du nom propre. Cette déconstruction de la langue est un véritable préalable à l’émergence d’une parole libre et libérée des préjugés linguistiques et mentaux, qui ouvre la voie aussi à une réhabilitation de Marguerite Duras vis-à-vis de certains de ces propos embarrassants.
http://trensistor.fr/fichiers/emissions/2024/09/24/GDR_Adrien.wavRéférences citées :
Hanania, Cécile (2008). « Marguerite Duras au miroir de Barthes : lumière sur le « faux de l’écrit » », Marguerite Duras et la pensée contemporaine, Actes du colloque des 10-12 mai 2007, Université de Göteborg, p. 45-54.
Duras, Marguerite (1950). Un barrage contre le Pacifique.
Duras, Marguerite (1966). Le Vice-Consul.
Duras, Marguerite (1982). La Maladie de la mort.
Duras, Marguerite (1984). L’Amant.
Duras, Marguerite (1986). Les Yeux bleus cheveux noirs.
Duras, Marguerite (1987). La Vie matérielle.
Garréta, Anne (1986). Sphinx.
Kleiber, Georges (1981). Problèmes de référence. Descriptions définies et noms propres, Paris, Klincksieck.
Saussure, Ferdinand de (1916). Cours de linguistique générale.
Citations :
« Vers la fin des années 80, la communauté LGBTQ+ s’est réapproprié le terme queer (signifiant « étrange » en anglais), qui était à l’origine utilisé pour parler péjorativement des hommes homosexuels, pour en faire un symbole de contestation des modèles identitaires relatifs au genre et aux orientations sexuelles. Une personne queer privilégie une vision globale de l’individu plutôt qu’une vision axée sur son identité de genre ou son orientation sexuelle, qu’elle considère souvent comme fluides. » (Office québécois de la langue française)
« L’hétérosexualité est dangereuse, c’est là qu’on est tenté d’atteindre à la dualité parfaite du désir.
Dans l’hétérosexualité il n’y a pas de solution. L’homme et la femme sont irréconciliables et c’est cette tentative impossible et à chaque amour renouvelée qui en fait la grandeur.
La passion de l’homosexualité c’est l’homosexualité. Ce que l’homosexuel aime comme son amant, sa patrie, sa création, sa terre, ce n’est pas son amant, c’est l’homosexualité. » (Duras, La Vie matérielle)
« Il n’y a d’écrit que l’écrit du poème. Les romans vrais sont des poèmes. » (Duras, Le Monde extérieur, p. 218))
« Mais la langue, comme performance de tout langage n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est obliger à dire. » (Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, le 7 janvier 1977)
« « Je vous ai dit que je donnais tous les livres de Roland Barthes d’un seul coup pour mes routes du thé dans les forêts de la Birmanie, le soleil rouge et les enfants morts des pauvres du Gange. » (Hanania)
« Il dit qu’il n’a jamais rêvé d’une femme, qu’il n’a jamais pensé à une femme comme à un objet qu’on pouvait aimer. Elle dit : — C’est une chose terrible. Jamais je n’aurais cru avant de vous connaître. Il demande si c’est aussi terrible que de ne pas croire en Dieu. Elle le croit. C’est le fait de l’homme indéfiniment présent à lui-même qui effraie. Mais ce doit être là qu’on est le mieux, le plus à l’aise pour vivre le désespoir, avec ces hommes sans descendance qui ignorent être désespérés. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« nom de Dieu »(Duras, Un barrage contre le Pacifique)
« bon Dieu » (Duras, Un barrage contre le Pacifique)
« Je voudrais manger les seins d’Hélène Lagonelle comme lui mange les seins de moi dans la chambre de la ville chinoise où je vais chaque soir approfondir la connaissance de Dieu. Être dévorée de ces seins de fleur de farine que sont les siens. » alors que juste avant l’on trouve : « Ce qu’il y a de plus beau de toutes les choses données par Dieu, c’est ce corps d’Hélène Lagonelle, incomparable, cet équilibre entre la stature et la façon dont le corps porte les seins […]. » (Duras, L’Amant)
« On ne sait pas si Dieu fera qu’on en ait encore à vivre d’aussi belles ». (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« cette faculté de subir tout ce qui se présente comme ordonné par Dieu » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Votre détestation de moi, elle ne me regarde pas. Elle vient de Dieu, il faut l’accepter comme telle, la respecter comme la nature, la mer » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Ce n’est pas la peine de la traduire dans votre langage personnel. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« C’est à ce moment-là de la mer fluviale qu’il avait eu envie d’aimer. D’aimer de désir fou comme dans le seul baiser qu’ils s’étaient donnés [sic] ». (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Ils se surprennent tout à coup à se regarder l’un l’autre. Et à tout à coup se voir. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Il la regarde avec beaucoup d’attention, il oublie même de la voir pour mieux se souvenir. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Elle le regarde. C’est ainsi qu’elle le voit en son absence » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Elle ne peut pas se lasser de le voir. Elle lui dit : – Je vous voir pour la première fois. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« On crie un nom d’une sonorité insolite, troublante, faite d’une voyelle pleurée et prolongée d’un a de l’Orient et de son tremblement entre les parois vitreuses de consonnes méconnaissables, d’un t par exemple ou d’un l. » (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
– Que veut dire le mot dans la phrase ?
– L’égalité des destinées devant son sommeil peut-être, ce matin-là ? devant la plage, devant la mer, devant moi ? Je ne sais pas. (Duras, Les Yeux bleus cheveux noirs)
« Battambang » (Duras, Le Vice-Consul)
Renvoi personnel à un article sur la fameuse phrase de Barthes sur la langue « fasciste » lors de sa leçon inaugurale au Collège de France. Pour comprendre en quoi cette phrase est au centre des études queers :
Barrier, Adrien (2023). « La querelle Barthes-Pasolini autour de Salò : fascisme de la langue ou fascisme du plaisir », CAElum. https://enscaelum.hypotheses.org/389.
Un article important sur le lien de cet énoncé terroriste de Barthes avec Pasolini :
Noghrehchi, Hessam (2017). « Le fascisme de la langue », Littérature, N° 186(2), p. 34-43. https://doi.org/10.3917/litt.186.0034.
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